En arrivant par le Nord, autrefois, l'usine Kodack était un signal, malheureusement disparu depuis 2008, démolition que j'ai suivie en direct, depuis Nantes.
Notre père avait l'habitude d'aller régulièrement à la "décharge" avec son camion vider les déchets de son atelier, jour redouté par notre mère, mais adoré par nous, parce qu'à cette époque, on avait le droit de récupérer … et notre père remplissait son camion du retour… et même parfois nous pouvions l'accompagner pour fouiller nous-mêmes dans tous les trésors, je me souviens d'un trésor incroyable, l'album d'un imprimeur avec tous les échantillons de tirages, d'agrafes, d'attaches parisiennes, de trombones, de papiers, soigneusement cousus et étiquetés sur les pages en carton … aux légendes manuscrites à la plume. Mais je m'éloigne du sujet, ce que nous attendions avec impatience ce sont les immenses rouleaux de papier photo, ils avaient pris la lumière sur les côtés et n'étaient plus conformes à l'emballage … Nous faisions rouler ses immenses blocs de papier jusqu'à la maison … et là, la magie du papier photo émulsionné commençait.Nous posions nos mains, des ciseaux des trombones, des fleurs … fabriquions des compositions et sur chaque nouveau morceau déroulé observions la magie des formes qui s'inscrivaient sur le papier exposé à la lumière. Nos premiers photogrammes … Bien sur tout cela était éphémère … car la lumière continuait d'agir …
Quelques années plus tard, les années lycée, nous avions l'habitude avec quelques amis, de nous retrouver le soir au musée Nicéphore Niepce, nous trainions dans les livres, dans les photos, les plaques de verre imprimées, dans les affiches … s'était étonnant, clandestin, palpitant … mais ces soirées de découvertes sont gravées dans ma mémoire et déjà les images bleues ont commencé de me hanter.
Le dernier petit lien avec la photographie chalonnaise, c'est le job d'été effectué chez Kodack, et oui, à l'emballage de ces fameux rouleaux de papier qu'une machine débitait en feuilles, rangeait dans les boites tandis que moi je notai les références de chaque boite dans le noir le plus total, car oui, chez Kodack, on travaillait dans le noir …
Je ne suis pourtant pas devenue photographe, mais l'image, elle, m'a toujours intéressée.
Ma fascination de la neige, du blanc, des traces, des moutonnements balayés par les vents est certainement le fruit de mes séjours d'enfance au Manon, dans le Jura où nous avons vécu de sacrés moments dans la vieille ferme que nos parents et leurs amis louaient. Deux grands dortoirs sans chauffage, une grande salle à manger et une cuisine avec un poêle qui crachait tout ce qu'il pouvait de fumée acre quand nous arrivions dans la nuit après l'école du samedi. Le wc était dans la cave, à côté d'une moto qui nous a emmenés traverser tous les continents sur ses cales en brique. Nous étions jamais moins de 15 dans cette ferme, et je me souviens de la grande piste de bob en tunnel, construite au départ de la fenêtre du dortoir, nos bottes pleines de neige sur les matelas et duvets, en attendant notre tour pour descendre dans ce tunnel très sombre …
Sculpter et dessiner le blanc était mon rêve, un désir resté enfoui de nombreuses années, largement compensé par mon métier d'architecte, tant que celui-ci faisait appel au dessin et ses outils traditionnels … et ses fameux tirages de plans en bleu et blanc …
À Nantes, loin de la montagne, de la neige, du vrai froid j'ai commencé à fantasmer ces lieux d'enfance, et l'idée de m'offrir un séjour blanc a petit à petit germé…
Seule, les enfants devenus autonomes, j'ai décidé de réaliser mes rêves. L'Islande, bien sur était spontanément le premier choix … il suffit de plonger son regard dans cette toile de 1996, intitulée : Rêve d'Islande … mais …
J'ai rapidement mis de côté l'Islande, me disant que j'avais bien toute la vie pour y aller, surtout quand je me suis aperçu que le Groënland m'était devenu accessible. Ce pays me renvoyait aux rêves d'enfance, à la découverte des récits de PEV, aux paysages blancs à perte de vue. La banquise, les glaciers … un univers très attirant pour réaliser mon projet et rester un certain temps. la décision prise, j'ai préparé ce voyage … tout en réfléchissant à mon projet artistique …
Après le premier voyage, un trek à Angmassalik, je suis revenue avec assez de matières pour commencer de peindre, les Horizons et Instantanés.
La peinture et la photographie se sont toujours entrecroisées, sujet, modèle, support de réflexion, voire même d'abstraction … et comme dans le travail de l'architecte, le dessin au trait reste assez présent, avec toujours cette volonté de construire le volume avec le minimum d'artifices : le trait et le monochrome … une superposition des techniques sur un même support. Pour ceux qui ont visité l'exposition Rouge Banquise en 2015, ils ont pu découvrir comment chaque choix de technique sert le sujet …
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